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106. Virée En Voiture

Dernière mise à jour : 28 mai 2023

~ JULIAN ~




Faire le trajet en voiture avec un Loup-Garou mâle qui transpire la colère par tous les pores sur le siège passager, n’est pas aussi simple que je le croyais lorsque j’ai décidé d’accompagner Chogan. Les vagues d’énergie qu’il dégage envahissent l’habitacle, rendant l’air quasi-irrespirable. Je les ressens parfaitement bien alors que je n’ai ni sens sur-développé, ni pouvoir magique, c’est dire !



Alors que nous approchons de la sortie vers San Myshuno, je continue tout droit.

- T’as loupé la sortie, dit Chogan, ouvrant la bouche pour la première fois depuis que nous avons quitté Willow Creek.

- Je sais. On ne va pas chez Andy.

L’air s’alourdit davantage.

- Je te demande pardon ?

- J’ai dis que nous n’allons pas chez Andy.



- Et on va où exactement ?

- Tu verras.

- Sérieusement Julian j’ai pas envie de jouer ! Fais demi-tour.

- Sur l’autoroute ça va être compliqué.

- Putain Ju’…



- Tu pourrais essayer de te maîtriser s’il te plaît ? J’ai du mal à me concentrer sur la route.

Le frère de ma compagne grogne mais la pression diminue légèrement. C’est loin d’être gagné mais c’est toujours ça de pris.

- Merci beaucoup.

Je sens le regard de Chogan peser sur moi. Je jette un coup d’œil à mon futur beau-frère.

- Un problème ?

- Comment tu fais ?

- Comment je fais quoi ?



- Pour rester toujours aussi calme. Je ne t’ai jamais vu péter un câble depuis que je te connais.

- J’ai appris à me maîtriser.

Je souris tristement et ajoute :

« Quand tu es indésirable, tu fais de ton mieux pour te faire tout petit. »

- Indésirable ?! Écoute, pour ce que je t’ai dit tout à l’heure…

- … Je ne parlais pas de toi Chogan mais de mes parents, je le coupe.

- Ah oui… Séléné m’en a vaguement parlé. Elle n’est pas rentrée dans les détails parce qu’elle estimait que ce n’était pas à elle de raconter ton histoire.

- Quand ils étaient jeunes, mes parents avaient pour ambition de bâtir un empire, à la place ils m’ont eu moi. Tu imagines bien que ma naissance a contrecarré leurs plans et qu’ils me l’ont bien fait comprendre durant mon enfance.



- Merde ! Je ne pensais pas que c’était aussi glauque.

- Ne te méprends pas, ils n’ont jamais levé la main sur moi. Ils me toléraient à condition que je ne fasse pas de crise de nerfs ou que je pleure. J’étais prêt à faire n’importe quoi dans l’espoir qu’ils s’intéressent enfin à moi, alors je faisais ce qu’il me demandait. Mais j’ai compris que mes efforts étaient vains le jour où ils m’ont envoyé à l’internat dès que j’ai eu l’âge requis.

- Je suis désolé Julian. J’imagine même pas ce que tu as du éprouver en tant que gamin.

Je hausse les épaules.

- Peut-être, mais ce n’est pas aussi terrible que ce qui est arrivé à tes parents.

- J’ai quand même eu la chance de grandir entouré de l’amour de mes parents, même si ce fut trop court.

- C’est vrai. C’est bien qu’ils puissent apparaître de temps en temps.

- Ouais c’est sûr, mais ça ne remplacera jamais la chaleur de leurs bras, il dit, les yeux voilés par la tristesse.



Durant quelques secondes nous ne disons rien, chacun étant en proie à ses sombres pensées. La tension dans l’habitacle est quasiment retombée et je peux de nouveau respirer normalement. Il se racle la gorge avant de me demander :

- Tu ne t’es jamais mis en colère contre tes parents ? Tu ne leur a jamais reproché de t’avoir rejeté comme ils l’ont fait ? Me demande Chogan.

- Pourquoi l’aurais-je fait ?

- Parce que c’est injuste la façon dont ils ont traité leur enfant ? Parce que ça t’aurais fait un bien fou de leur dire ta façon de penser ?

- Est-ce qu’ils m’auraient écouté ? Est-ce que notre relation aurait évolué ?

- Mais ce sont tes parents…

- Crois-moi ça n’aurait rien changé. J’ai fait une croix sur eux depuis longtemps et je suis en paix avec ça, c’est tout ce qui compte. Ils ne valent pas la peine que je perde de l’énergie pour eux.



- C’est pour ça que tu n’as pas répliqué tout à l’heure quand je t’ai traité de « pauvre humain » ? Parce que je n’en vaut pas la peine ?

Je souris.

- Tu aurais préféré que je t’insulte et que ça finisse en bagarre générale ?

- Non, bien sûr que non !

- Je n’ai pas répliqué parce que c’est la vérité. A côté de vous tous je ne suis qu’un pauvre humain, ce dont je ne me plains absolument pas. Par contre, tu sembles avoir oublié que je ne suis pas le seul humain dans cette maison...

Chogan ouvre de grands yeux horrifiés.

- Merde ! Je suis trop con.



- Sur ce coup-là, je suis d'accord ! Je le taquine. Plus sérieusement,ce n’est pas toi qui ne vaut pas la peine qu’on se battes pour toi, c’est les raisons pour lesquelles tu te bats.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- En agissant sous le coup de la colère et de la frustration, tu pourrais faire énormément de dégâts.

- Je ne vais quand même pas la tuer…

- … Je ne parle pas de ça Chogan. En mettant Andy dos au mur, non seulement tu risques de la perdre mais tu risques aussi de mettre un terme à une amitié vieille de plusieurs siècles entre la Meute Des Héritières et elle. Ça serait bête d’en arriver là tout ça parce que tu ne supportes pas d’être dans l’ignorance, tu ne crois pas ?



Durant plusieurs secondes, il ne dit rien. Je le laisse réfléchir et me concentre sur la route.

- J’ai l’impression de perdre ma meilleure amie Julian, fini par lâcher Chogan, penaud.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Je ne sais pas… Depuis qu’on a tué Vladislaus elle s’est éloignée de la Meute, de moi. Elle nous cache des choses Ju’, des choses importantes.

- Quelle sorte de choses ?

- Justement, j’en sais rien. Mais c’est assez grave pour qu’elle décide de prendre ses distances.

- Peut-être qu’elle veut nous protéger ? Dans certains cas, la meilleure des protection c’est l’ignorance.

- J’en sais rien… Je suis paumé.

- Tu devrais écouter ta femme quand elle te dit de laisser Andy venir à nous. C’est un excellent conseil et si tu lui dit ça dès qu’on rentre à la maison, elle te pardonnera peut-être ton comportement.

Il soupire.

- Je suis vraiment désolé de t’avoir parlé comme ça. T’es vraiment un mec génial Julian et Surnat’ ou pas, tu possèdes le seul pouvoir qui compte à mes yeux : celui de rendre ma sœur heureuse.

- Merci Chogan, je réponds, touché par ses mots. Toi aussi t’es un mec bien, quand tu fais pas la gueule, j’ajoute.



Ses lèvres frémissent, comme s’il se retenait de sourire.

- Que veux tu, je suis un loup, un sauvage dans l’âme ! Bon, est-ce que tu vas me dire où tu comptes nous emmener maintenant ?

- Ca dépend, tu comptes toujours jouer au con ?

Il soupire.

- Non.

- Parfait, dans ce cas on peut rentrer à la maison.

- Attends, attends ! T’es en train de me dire que tu n’avais aucune destination précise en partant ?!

- C’est tout à fait ça. Nous avons roulé sans but le temps que tu te calmes, maintenant que c’est choses faites… Ma mission est accomplie, nous pouvons rentrer à la base.

- Mais t’es vraiment un enfoiré Bencomò ! Il s'exclame en secouant la tête, souriant franchement cette fois.

- Je fais de mon mieux, comme toujours.




♦♦♦


~ SELENE ~



- Est-ce que tu me trouves faible ?



Ma belle-sœur et moi sommes dans la chambre des jumeaux. Abey et Adriel sont sagement allongés dans leur berceau après avoir bu leur lait. Julian et Chogan ne vont pas tarder à rentrer, mon compagnon ayant manifestement réussi à faire entendre raison à mon frère.

- Bien sûr que non Jacklyn. Chogan ne pensait pas ce qu’il a dit tout à l’heure. Tu sais aussi bien que moi qu’il est impulsif et que dans ces moments-là, il peut sortir des conneries plus grosse que lui.

A la mention de son mari, elle se renfrogne.

- Je sais bien, mais même si ça ne m’était pas adressé ce n’est pas facile à entendre. Après tout, 95 % du temps il est humain lui aussi du coup je me disais que ça n’avait pas d’importance...

- Mais c’est le cas tu sais. Je ne veux pas prendre sa défense parce que sur ce coup, il a vraiment merdé, mais Chogan t’aime profondément, que tu sois humaine, Loup-Garou ou autre. Pour lui tu as été, tu es, et tu seras toujours la femme de sa vie.



Elle me sourit faiblement.

- Je suis stupide hein ? Après toutes ces années passées ensemble je ne devrais pas m’inquiéter.

- On est tous un peu sur les nerfs en ce moment. Et puis je serais bien la dernière à te reprocher de t’en faire sans raison, moi qui suis une angoissée de la vie !

Le bruit de la porte d’entrée qui claque interrompt notre conversation. Aussitôt le visage de Jacklyn se crispe.

- Le fauve est de retour…

- A mon avis à l’heure actuelle, il doit surtout ressembler à une petite souris craignant d’affronter le gros chat.

- Comment ça « gros » ?! S’exclame Jacklyn, faussement outrée.

Je pouffe de rire.

- Ne t’inquiète pas, tu as une silhouette parfaite même après trois enfants dont deux nés il y a peu.

- Ouais... Bien rattrapé.



Nous échangeons un sourire complice avant de quitter la chambre, non sans vérifier d’abord que les jumeaux sont bel et bien endormis.

Lorsque nous rejoignons Julian et Chogan au salon, ce dernier cesse de parler et son visage change de couleur en croisant le regard de Jacklyn. Les traits figés, celle-ci n’esquisse pas le moindre mouvement pour saluer son compagnon, contrairement à moi qui me blottis dans les bras de Julian.

Il m’embrasse sur le sommet du crâne.

- Ça a été ? Je demande.



- Impeccable, ton frère a été un bon garçon.

- Ravie de l’entendre, dit Jacklyn.

Je me tourne vers elle et constate qu’elle a les bras croisés et ne lâche pas du regard Chogan.

Je ris intérieurement. La petite souris va passer un sale quart d’heure c’est certain…



Souhaitant laisser un minimum d’intimité aux amoureux pour régler leur problème, je demande à Julian :

- Tu m’aide à préparer le dîner mon coeur ? En même temps tu me raconteras ce qui s'est passé.

- Avec plaisir !

Aussitôt dans la cuisine, j’entends Jacklyn laisser éclater sa colère.

- Alors comme ça je suis une pauvre humaine, monsieur Chogan Wolf ?

- Bébé, ce n’est pas…

- TAIS-TOI ESPECE D’IDIOT ! Tu crois que parce que tu as des crocs et une force surhumaine, ça fais de toi le roi du monde ?! Je vais te le dire moi ce que tu es, tu es un…



Julian et moi grimaçons en entendant le dialecte très imagée qu’emploi ma belle-sœur pour qualifier son mari, qui a l’intelligence d’encaisser sans rien dire.

- Je n’aimerais pas être à sa place, dit Julian en grimaçant.

- Dans ce cas, tu sais ce qu’il te reste à faire je réponds avec un sourire malicieux.



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